Errer seul dans les couloirs lorsque la nuit tombait – ce qui ne tardait pas, au vu de la saison hivernale – sans risque de se faire réprimander était à la fois un avantage et un inconvénient. Le bon côté, c’était que j’avais la possibilité de faire absolument tout ce que je voulais, excepté quitter Poudlard, et que la quiétude du lieu était également assez relaxant. Seulement, quand on a un peu moins d’une dizaine d’heures à passer sans compagnie, sans rien faire, en ne pouvant ni dormir ni se reposer, puisque cela ne m’était pas nécessaire, c’est parfois bien long. Et ennuyant. Mais cela faisait maintenant plus d’un an que c’était le cas, j’avais eu le temps de m’y faire ; certaines nuits me paraissaient simplement plus longues que d’autres. Et puis, il y avait toujours quelques petits malins qui sortaient de temps à autre, malgré l’interdiction du règlement à ce sujet, et qu’il était aisé de retrouver dans les couloirs, le château étant endormi. Les moins discrets surtout. Mais ceux que je préférais, c’étaient ces bons vieux froussards, qui jettent sans cesse des coups d’œil un peu partout pour vérifier qu’ils sont bien seuls et que le simple fait d’apparaître brusquement devant eux peut leur arracher un cri plus ou moins strident. Ces nuits-là étaient particulièrement drôles, et je m’en réjouissais à l’avance lorsque j’entendais le moindre bruit, car il signifiait qu’il se passait enfin quelque chose.

Je connaissais les couloirs par cœur, savais même dans quel recoin je pouvais disparaître de la vue des sorciers pour apparaître sans crier gare. Et évidemment, quand quelqu’un découvrait un passage secret, j’étais dans les premiers informés. Celui sous la statue de Gregory le Fourbe était tout de même assez connu, et avait la particularité de mener à la Tour d’Astronomie depuis laquelle on avait une vue imprenable sur l’entrée de Poudlard et ses environs, ainsi que sur le ciel étoilé. Et le hasard voulu que cette nuit, alors que je passais par là, l’idée me vint que monter à la Tour ne serait pas une mauvaise chose. Et vraisemblablement, je n’étais pas le seul à penser ainsi, car une certaine Poufsouffle venait tout juste d’ouvrir le passage et de s’y engouffrer. Je la suivis de près, curieux de savoir ce qui prenait Bar pour qu’elle se promène la nuit, même si le lieu où elle se rendait était réputé pour une vue sans égal.

Quelques dizaines de secondes plus tard, nous étions au niveau du balcon et j’observais en silence le ciel étoilé quand la blonde sursauta. Oups. J’avais comme qui dirait, oublié de la prévenir de ma présence. Bon au moins, maintenant, elle était au courant. Elle avait plusieurs chances de ne pas me croiser, les couloirs et diverses salles du château étant en grand nombre, mais elle était bien au courant que je fréquentais bien régulièrement ce couloir en particulier. Son sursaut était donc certainement dû à la surprise brève de me voir flottant à ses côtés d’un seul coup, comme je ne dérangeais pas le calme du moment et n’annonçais généralement pas mon arrivée.

- Bonsoir à toi aussi, Bar, lui dis-je d’un ton un peu moqueur.

La jeune fille savait au moins se retenir de crier, ce qui était tout à son avantage car même si nous étions un peu éloignés des dormeurs, il n’était pas rare qu’hurler en réveille au moins quelques uns. Bon, ce n’était pas non plus comme si je lui avais fichu une frousse de tous les diables, mais quand même. Certains braillaient pour moins que ça.

- Insomnie ou simple envie d’une belle vue pour pouvoir t’endormir ?

Mon ton avait changé pour quelque chose de plus doux et de sympathique, comme un frère veillant sur sa sœur. Bar faisait partie des personnes que j’appréciais, et son visage ne laissait apparaître aucune crainte que je la dénonce pour manquement au règlement. Elle ne faisait pas non plus partie de ceux qui sortent fréquemment, du moins, à ma connaissance, elle savait donc que je garderais le silence tout pendant que cela ne restait que passager. Et puis, je n’étais pas non plus tout à fait comme les autres fantômes, je savais tenir ma langue dans ma poche pour des situations pareilles.

- Insomnie, comme toujours ... et toi que fais-tu là ? Tu t'ennuies ?

Il me semblait bien en effet que la blonde ne dormait que très peu, ce qui n’avait de cesse de m’étonner. De mon point de vue, le sommeil était d’or, et j’avais bien besoin d’un minimum de six à huit heures de total repos pour être en forme le lendemain. Mais étant donné que cette époque était révolue, le fait que je puisse avoir de la compagnie une fois le couvre-feu passé n’était pas plus mal. Enfin, il y avait bien des professeurs tels que Delilah ou que le concierge rôdant dans les couloirs la nuit, et bien évidemment, les autres fantômes, sans oublier les élèves téméraires ou totalement inconscients qui ne respectaient pas le règlement. Au final, ça en fait, du monde. Mais le concierge m’insupportait rapidement, et les humains ont besoin de dormir. Quant aux esprits… La nuit est le seul moment de la journée où tout est relativement calme, alors ils en profitent. Il m’arrivait de parler plus fréquemment à Solweig, Sir Negelas ou encore Lilas-Rose qu’aux autres, mais ils demeuraient introuvables, ce soir-là. Donc au fond, Bar avait bien choisi son jour pour une insomnie.

- Je n’avais rien de mieux à faire, lui répondis-je simplement.

Ce n’était pas une remarque destinée à la faire réagir ou à la frustrer, mais tout bonnement la vérité. S’il y avait eu quelque chose de mieux à faire, je ne serais sans doute pas avec elle en cet instant. Mais visiblement, quoique j’aie pu dire, quelle que soit l’intonation, ce n’était pas parvenu aux oreilles de la blonde qui était ailleurs. Les yeux rivés sur un point du paysage nous faisant face, elle rêvassait à une scène qui l’enchantait, au vu de son visage assez souriant. Mais à laquelle je n’avais pas accès. J’aurais pu lui déclamer de longues tirades impliquant des sujets les plus divers possibles et sans aucun lien entre eux qu’elle n’aurait pas cillé. Je doutais même que lui parler de quelque chose de totalement improbable puisse la faire réagir. J’étais bien tenté d’effrayer une nouvelle fois Bar, ou de m’en aller. Mais comme je l’avais dit, il n’y avait rien d’intéressant à voir en cette soirée. Et puis, je m’entendais bien avec la Poufsouffle. Certes, son moment d’égarement ne me permettait pas tellement de lui parler. Mais au moins, je pouvais raconter tout et n’importe quoi. Ce que je ne me gênais pas à faire. Jusqu’à ce qu’elle revienne enfin à la réalité :

- Hein ? Tu disais ?

Me préférant au panorama qui l’avait pourtant plongée dans de lointaines pensées durant plusieurs minutes, elle m’observa et attendit ma réponse. Qui n’allait pas tarder. J’hésitais une poignée de secondes entre être honnête, ce qui impliquait que je doive répéter toutes les bêtises que j’avais pu dire – ou non, d’ailleurs, mais elle n’avait qu’à écouter –, ou à lancer un nouveau sujet. Et il va de soi que la seconde option était la plus intéressante à mes yeux. Avec un sourire, je désignais d’un mouvement de tête ses ouvrages en équilibre assez précaire sur le parapet.

- J’étais en train de me demander à quel moment tes livres allaient-ils tomber.

J’avais en effet pu remarquer d’un coup d’œil que Bar ayant certainement légèrement bougé lors de son immersion totale dans les méandres de son esprit, lesdits livres avaient été rapprochés du bord. Et il suffisait d’une grosse bourrasque pour qu’ils ne se retrouvent devant l’entrée du château. Cela impliquait un très certain divertissement pour moi, car le bruit pouvait attirer le concierge ou un professeur dans les parages, et puis il faudrait bien aller les récupérer. Mais concernant la Poufsouffle, la panique n’était pas à exclure, car au contraire des Gryffondors, la maison de Bar n’était pas vraiment réputée pour son courage à toute épreuve. Mais après tout, les livres étaient encore là. Restait juste à savoir si la blonde allait ou non réagir immédiatement, et si, auquel cas, un livre rebelle échapperait au ramassage en vitesse et tomberait devant l’entrée principale du château.